Cet article tente de comprendre ce que sont les « œuvres sociales » du couvent Sainte-Élisabeth de Minsk. Ces œuvres figurent en bonne place sur le site internet du couvent. Elles sont apparemment la cause pour laquelle le couvent collecte activement des fonds à l’étranger.
Pour ce faire, nous avons approché d’anciens employés et membres du monastère – dont les sœurs de la Miséricorde, dites les « sœurs blanches » – pour partager leurs expériences, réflexions et observations. Pour des raisons de sécurité, leurs noms ne sont pas divulgués. Nous avons également interviewé d’autres personnes engagées dans le ministère social de l’Église orthodoxe biélorusse, notamment des sœurs d’autres confréries de miséricorde de Biélorussie qui, dans leurs activités, ont connu le couvent Sainte-Élisabeth. Elles aussi ont également parlé sous couvert de l’anonymat. Tous les noms et coordonnées personnelles des personnes interviewées ici sont connus de notre seule rédaction.
L’enquête nous a pris plusieurs semaines. Nous avons constaté que même des personnes ayant quitté le couvent se montraient réticentes à parler des abus qui s’y produisent, beaucoup d’entre elles craignant en effet d’être intimidées et harcelées.
Remarque : Les « sœurs blanches » sont des laïques œuvrant à diverses obédiences dans le couvent. Elles portent un habit composé d’un tablier et d’un voile blancs, ce dernier orné d’une croix sur le front. Ce ne sont pas des religieuses ou des novices du monastère, qui, elles, vivent au couvent et portent des habits et voiles noirs.
Ministère au Centre Républicain Scientifique et Pratique de Santé Mentale : l’histoire de Sœur Svietlana
L’une des sœurs – appelons-la Svietlana – a été sœur de la Miséricorde durant plusieurs années. Avant de travailler au monastère, elle avait d’abord intégré une confrérie. Une amie qui visitait des patients dans l’un des départements du Centre républicain scientifique et pratique de santé mentale (Minsk) l’a persuadée de faire de même. Comme elle avait du temps libre et voulait aider les gens, elle a accepté. Svietlana a alors reçu un habit blanc et a été affecté à un département avec un emploi du temps bien défini.
Une fois par semaine, elle s’adonnait à son ministère : elle se rendait dans les services, s’entretenait avec les patients, les préparait à la confession et à la communion. Svietlana se souvient qu’aucune formation sur l’art de communiquer avec les personnes souffrant de maladie mentale n’était dispensée. C’est donc de sa propre initiative qu’elle s’est plongée dans la littérature spécialisée et a entrepris des études professionnelles. Selon ses observations, la plupart des sœurs qui exerçaient le même ministère ne se formaient pas ; elles suivaient simplement la consigne de l’archiprêtre Andreï Lemiashonak, confesseur du couvent : « Allez-y simplement et Dieu parlera à travers vous » leur disait-il. Svietlana a toujours considéré qu’une telle approche était particulièrement inappropriée : il s’agit tout de même de travailler avec des malades présentant des diagnostics mentaux graves. La pratique religieuse et les considérations spirituelles risquent non seulement de ne leur être d’aucune utilité, mais qui plus est d’aggraver leur état.
Selon Svietlana, le prêtre visitait les services une fois par mois environ. Le soir il confessait, le lendemain matin il donnait la communion à ceux qui le voulaient et qui s’y étaient préparés.
Il y a plusieurs années, la direction du Centre de santé mentale ayant interdit la distribution de la communion dans les salles, les sœurs continuaient à parler aux gens qui le désiraient. Elles invitaient les patients à sortir de l’hôpital et à se rendre à l’église pour se confesser et communier. En fait, selon Svietlana, très peu d’anciens patients venaient à l’église : cela s’expliquait selon elle par la mauvaise formation des sœurs.
En 2020, et durant près de deux ans, les sœurs du couvent n’étaient plus reçues dans les services. À cette époque, Svietlana avait déjà quitté le couvent et la fraternité, déçue par les pratiques du couvent : on parlait plus que l’on ne travaillait. Le couvent ne soutient pas financièrement le Centre Républicain Scientifique et Pratique de Santé Mentale ni ne rémunère le travail des sœurs. Le bénévolat fonctionne à plein. Pour les fêtes religieuses, elles achetaient à leurs frais des cadeaux pour leurs services. Comme Svietlana avait de bons revenus avant de travailler au couvent, elle offrait des cadeaux non seulement à ses services mais aussi à d’autres sœurs, car tout le monde ne disposait pas de grands moyens. Le couvent ne distribuait que des gâteaux de Pâques invendus, que les sœurs coupaient et partageaient entre les patients. Les médecins et le personnel recevaient quant à eux des calendriers de la maison d’éditions du couvent. Svietlana ne se rappelle pas que, durant ses années de ministère, le couvent ait jamais aidé de manière significative l’hôpital et les patients ; seuls des pâtisseries et des calendriers de Pâques invendus étaient offerts.
Un proche d’un patient du Centre républicain scientifique et pratique de santé mentale, croyant orthodoxe actif, confirme le récit de Svietlana :
« Depuis plus de dix ans, ma mère suit chaque année un traitement au Centre républicain scientifique et pratique de santé mentale. Il y a quelques années, les sœurs du couvent venaient dans les services, discutaient avec celles qui le voulaient et les préparaient à la communion. Le prêtre venait dans le service et les communiait. Pendant l’épidémie de Covid en 2020, les patients avaient du mal à se rendre à l’hôpital pour un examen en raison de la quarantaine. Seules les personnes gravement malades étaient admises. Je sais avec certitude qu’en 2020 et 2021, les sœurs du couvent n’étaient plus autorisées à entrer. En 2022, personne n’a visité le service où se trouvait ma mère. En 2023, pendant son mois de traitement, une sœur blanche a rendu visite une ou deux fois, elle oignait d’huile ceux qui le voulaient, puis partait. C’était tout son ministère… Maman aimait à se rendre dans les églises du couvent. Elle se sentait mieux lorsqu’elle pouvait aller à l’église et communier. Mais après les événements de 2020, puis le début de la guerre en Ukraine, j’ai cessé de faire confiance non seulement aux personnes du couvent mais aussi à l’ensemble de l’Église orthodoxe. »
Des fermes pour hommes et femmes : l’histoire de sœur Alexandra
Une autre sœur blanche – appelons-la Alexandra – a œuvré à diverses obédiences au monastère pendant plusieurs années, notamment en visitant les fermes. Elle dit que c’est un désastre pour la société biélorusse de ce que personne ne s’occupe des sans-abris : ni leurs proches ni l’État. Par conséquent, le fait que le monastère les accepte pour vivre dans des fermes semble être un ministère social important, surtout en hiver, lorsque les sans-abris n’ont nulle part où aller.
Elle mentionne qu’il y a toujours plus de monde dans la cour des hommes que dans celle des femmes. Il arrive aussi que des gens quittent la ferme, puis reviennent.
La plupart des habitants des fermes y travaillent. Ceux qui travaillent reçoivent de petites allocations du couvent. Mais pas systématiquement. Il y a aussi des sanctions. Outre qu’ils doivent payer leur logement et leur subsistance, le reste de l’argent peut être retenu si, par exemple, la personne commet un délit.
Bien que la plupart des personnes hébergées dans les fermes souffrent de diverses dépendances et nécessitent une aide intensive, il n’existe pas de programme de réadaptation. La seule aide spirituelle et psychologique vient du prêtre (l’archiprêtre Andreï Lemyashonak), qui leur rend visite chaque semaine pour offrir confession et communion et s’enflammer de colère face à leur comportement. Parfois, il expulse quelqu’un.
« Mais est-ce ainsi que les gens s’améliorent ? » – Alexandra est perplexe. « J’ai l’impression qu’ils sont simplement exploités comme main-d’œuvre à bon marché et comme couverture pour collecter de l’argent. Le petit salaire des habitants de la ferme provient des revenus que le couvent tire de ces personnes nécessiteuses. Les ateliers couvrent toutes les dépenses du couvent, y compris l’entretien de la cour. »
Alexandra estime que le ministère auprès des sans-abri n’est pas sérieux et que le couvent abuse de la situation désespérée de ceux qu’il embauche pour les exploiter comme main-d’œuvre bon marché. Selon elle, ces personnes ne peuvent être réellement aidées que par un programme dédié, avec la participation de spécialistes.
Le Père Andreï [Lemyashonak], cependant, « méprise les psychologues, et je doute qu’en dehors du champ des caméras, il soit capable d’amour et de compassion », s’exclame-t-elle. « Les gens vivent des années dans des fermes avec tous leurs problèmes et leurs maladies, pour un bol de soupe. »
Ateliers, service de mécénat, commerce de détail en ville : l’histoire de sœur Volha
Une autre sœur – appelons-la Volha – a travaillé peu de temps au couvent, dès lors qu’il lui est rapidement apparu de quel genre d’organisation il s’agissait. Elle est très reconnaissante de l’expérience vécue au couvent où elle a rencontré de nombreuses personnes merveilleuses et avec lesquelles elle est toujours en contact. Toutes ont quitté le couvent soit par désillusion, soit pour avoir été licenciés en 2020 lorsque le couvent s’est débarrassé d’employés pour réorienter les fonds vers la construction du centre Kovcheg.
Volha estime que l’idée initiale du centre était merveilleuse. Il a été béni par le métropolite Philaret, dont le nom est régulièrement évoqué en lien avec le couvent Sainte-Élisabeth. Mais dans la pratique, l’intention initiale a été complètement dévoyée. « Contrairement à Philaret qui est intelligent et instruit, Lemyashonak n’étudie pas ni ne lit, il recourt systématiquement à la ‘volonté de Dieu’ de manière manipulatrice. » C’est le principal problème du couvent : Sœur Volha a constaté « qu’au lieu d’être un véritable monastère chrétien, le couvent s’avère une secte dirigée par un manipulateur inculte et rusé. »
Elle note qu’à ses débuts, le couvent était un lieu d’unité et de créativité pour les croyants. Tout ce qui est bon au couvent a été créé par de gens passionnés et dévoués. Cependant, un environnement toxique s’est progressivement instauré jusqu’à amener des gens à partir ou à être expulsés sous prétexte de déloyauté.
« L’atmosphère à l’intérieur est très conflictuelle, voire agressive », explique Volha. « Les religieuses se précipitent chez Lemyashonak en murmurant les unes contre les autres et contre les employés. »
« Les gens sont traités comme une ressource jetable après usage. » Volha pense que les religieuses font preuve de la même attitude non seulement envers les employés mais aussi envers toute personne qui s’adresse au couvent pour obtenir de l’aide.
Selon elle, le ministère social du couvent n’est qu’une belle façade entretenue par des gens dévoués – infirmiers et bénévoles – qui visitent hôpitaux et internats. Tandis qu’ils donnent sans compter de leur temps et se consacrent bénévolement aux œuvres caritatives, le couvent au nom duquel ils travaillent ne dépense quant à lui pas un centime. Ainsi lors d’événements caritatifs, les laïcs apportent des couches et des lingettes, que les sœurs blanches distribuent ensuite aux malades. Tout ceci est géré par des paroissiens ordinaires, des employés du couvent et les sœurs de la miséricorde sur leurs fonds et ressources propres.
Toute autre cependant est le récit présenté par le couvent à ses sponsors…
Lorsque l’épidémie de COVID a commencé en 2020, les employés du service des relations extérieures du couvent ont contacté leurs soutiens étrangers pour demander une aide financière, car le couvent « souffrait du COVID » disaient-ils.
Quel cynisme ! En réalité, au printemps 2020, l’archiprêtre Andrei Lemyashonak s’affichait à plusieurs reprises dans les médias comme un sceptique du COVID, niant non seulement l’existence du virus, mais cachant également les ravages de l’épidémie qui sévissait dans le couvent suite à des rassemblements de masse organisés au mépris des règles sanitaires instaurées pour contrer la pandémie. De plus, pendant le COVID, un grand nombre de personnes ont été licenciées car le couvent manquait alors d’argent pour construire son centre spirituel et éducatif.
Tandis que nombre d’ONG biélorusses se sont mises à aider activement les institutions médicales dans le cadre de l’initiative ByCovid19 – en recherchant, fabriquant et achetant des équipements de protection individuelle (EPI) et autres matériels pour le personnel et les institutions médicales dans toute la Biélorussie – le couvent Sainte-Élisabeth s’est tenu à l’écart de la campagne nationale.
Au lieu de cela, avant Pâques, le couvent s’est contenté d’offrir des gâteaux de Pâques aux médecins surchargés de patients et souffrant du manque d’EPI. Cela est patent dans une vidéo tournée pour la chaîne de télévision publique STV.
Volha a aussi appris que les représentants du couvent présentaient aux sponsors étrangers le centre de soins psychiatriques de Navinki, dans la banlieue de Minsk, comme un établissement de soin « aidé par le couvent ». Un récit similaire a été présenté sur le site Internet et les réseaux sociaux du couvent à propos d’autres hôpitaux et internats. En réalité, en raison du COVID de 2020 à 2022, les sœurs du couvent n’étaient nullement autorisées à rendre visite aux patients. Depuis, les visites ont repris, mais elles consistent uniquement en conversations, plus rarement en préparation aux sacrements de la confession et de l’eucharistie.
Le couvent ne dépense aucun argent pour un tel ministère social dans les hôpitaux et les internats : les prêtres qui s’y rendent sont salariés et les sœurs blanches sont bénévoles. Car selon la loi, le couvent ne peut aider les hôpitaux à acheter du matériel, des médicaments ou quoi que ce soit d’autre – les établissements hospitaliers doivent acheter tout ce dont ils ont besoin via un mécanisme d’appel d’offres.
« Lors de leurs visites dans les hôpitaux, les bénévoles du couvent prennent quelques photos, les publient sur le site internet et partout dans le monde. Tout cet argent collecté pour ce ‘ministère social’ finit en réalité entre les mêmes mains, pour être distribué par Lemyashonak lui-même », affirme Volha.
Selon elle, c’est le centre spirituel et éducatif Kovcheg (L’Arche) qui reçoit prioritairement ces fonds collectés, afin de tenir le rythme de la construction. Et c’est pour dégager des fonds que des centaines d’employés du couvent ont été licenciés et se sont retrouvés sans moyens de subsistance en 2020. Or le Centre Kovcheg n’abrite pas d’œuvres religieuses ; c’est un centre culturel et politique où sont notoirement organisés des événements en soutien à l’agression russe contre l’Ukraine.
Quant aux soins infirmiers évoqués sur le site internet du couvent dans la rubrique ‘Ministère’, ils ne sont, selon Volha, proposés qu’à titre de service commercial.
Le couvent Sainte-Élisabeth possède également un grand nombre de magasins à Minsk, et chacun d’entre eux est très rentable. En plus des marchandises produites dans les ateliers du couvent, ces points de vente commercialisent des marchandises provenant des marchés proches de Moscou, et des biens en métaux précieux importées illégalement.
Lors des manifestations de masse d’août 2020 (NdT : contestation populaire de l’élection présidentielle, qui a vu la ‘réélection’ d’Alexandre Loukachenko), de nombreuses personnes se rendaient dans ces lieux afin d’y déposer des demandes de prière pour leurs proches disparus ou torturés. Sœur Volha a été témoin de situations pénibles où, au lieu de faire preuve d’empathie, les sœurs dénigraient les manifestations et soutenaient que tel était le sort mérité par ceux qui descendaient dans la rue. Une religieuse a même souhaité que les manifestants soient écrasés par des chars.
Lorsqu’elle a appris de l’archiprêtre Andrei Lemyashonak qu’une maison de retraite devait être construite près du couvent, sœur Volha a été bouleversée d’apprendre que des personnes avaient cédé au couvent leur appartement en échange de promesses de soins en retour. Bien sûr, ces promesses n’ont jamais été concrétisées.
« Il y a une autre arnaque de Lemyashonak pour laquelle des sœurs du monde entier collectent des fonds sous couvert de ministère. Je comprends que, vus de l’étranger, de tels comportements ne soient pas concevables. Et pourtant, dans la pratique, lorsqu’un don est fait à un orphelinat, cet argent sert en réalité à financer des véhicules pour l’armée russe. Il y a tellement de gens dans le monde qui ont besoin d’aide en ce moment, y compris les réfugiés ukrainiens qui se retrouvent sans rien, à cause de fous comme Lemyashonak. »
« Je pense que les hôpitaux et orphelinats mentionnés sur le site internet du couvent seraient très surpris d’apprendre que les employés du couvent «collectent constamment des fonds» pour eux. »
Volha estime que la transparence du système ecclésial et le contrôle des éparchies auraient pu résoudre ce problème. Cependant, il lui semble que les dirigeants de l’Église orthodoxe biélorusse trouvent bénéfique que des représentants du couvent se déplacent partout avec des icônes, collectent des fonds et ne demandent pas d’argent à l’Église. Que ces fonds soient dépensés pour la guerre ne les dérange pas le moins du monde. En conséquence de quoi on ne peut compter que sur la seule vigilance des croyants eux-mêmes et des sponsors pour mettre fin à cette situation regrettable.
« Abandonnons-nous les nôtres ? » : l’histoire de Maxim, volontaire au département social de l’éparchie (archidiocèse) de Minsk
Le service social de l’éparchie était souvent contacté par des salariés ou d’anciens salariés du couvent Sainte-Élisabeth, qui avaient été licenciés et s’étaient vu refuser toute assistance dans leurs situations difficiles.
Une ancienne ouvrière des ateliers du couvent souffrant de problèmes de santé mentale a contacté le service social du couvent. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé longtemps dans ses ateliers, avant de tomber malade et d’être soignée dans un hôpital neuropsychiatrique pendant plusieurs mois.
Lorsqu’elle a quitté l’hôpital et a voulu reprendre son travail, on lui a fait savoir que ses services n’étaient plus nécessaires et qu’elle ne travaillait plus ici. Après un traitement prolongé, la femme s’est ainsi retrouvée pratiquement sans moyens de subsistance. Elle était extrêmement bouleversée : « J’avais tellement envie de revenir ! Il me semblait que tout le monde était si sympathique, si proche, si gentil ! J’ai passé un très bon moment là-bas, mais ils m’ont simplement mise à la porte parce que j’étais très malade. »
Elle s’est adressée au service social de l’éparchie de Minsk pour obtenir une aide financière ; tout au plus a-t-elle obtenu de la nourriture et des vêtements. Le soutien moral était également important pour cette femme : les employés, les bénévoles et le prêtre du service social lui parlaient pour la consoler et l’encourager.
Un employé de l’atelier de bougies du couvent a également contacté le service social. Il était vieux et demandait de l’aide pour prendre soin de son père et de son beau-père, alités. Ces hommes âgés nécessitaient une surveillance et des soins constants ainsi que des produits d’hygiène, notamment des couches jetables, en grande quantité. L’employé a demandé de l’aide à son superviseur, mais celle-ci lui a été refusée. Il a également demandé l’autorisation de travailler à domicile – comme cela se pratique occasionnellement au couvent – afin de pouvoir s’occuper de ses parents âgés. Pour toute réponse, la direction du couvent l’a licencié. Le service social de l’éparchie de Minsk a cependant aidé l’homme à acheter des couches. Il était déçu et déprimé qu’après toutes ces années de travail fidèle au couvent, on lui refuse l’aide dont il avait besoin.
« Discréditer le mouvement des sœurs » : l’histoire de Tamara, sœur de la Miséricorde d’une des confréries biélorusses
De nombreuses sœurs blanches employées par le couvent travaillent comme vendeuses dans ses points de vente. Elles sont habillées en sœurs de miséricorde – avec des vêtements historiquement portés par les femmes aidant les blessés de guerre, les orphelins, les handicapés et autres personnes dans le besoin.
Les sœurs de miséricorde des autres confréries étaient mécontentes que leur vocation se trouve ainsi discréditée. Toutes les autres confréries, en effet, travaillent gratuitement en prodiguant une assistance sociale aux personnes âgées, handicapées et démunies. Elles estiment que l’habit des sœurs doit être utilisé dans le cadre de leur travail d’assistance, non pour attirer l’attention d’acheteurs potentiels dans les points de vente. Ce sujet a été soulevé à plusieurs reprises par les sœurs lors des assemblées générales des confréries et porté à l’attention des dirigeants de l’Église orthodoxe biélorusse, sans qu’aucune réaction ne s’ensuive.
Vers 2014-2015, le couvent Sainte-Élisabeth est entré en conflit avec la direction de plusieurs établissements médicaux : les sœurs violaient souvent leurs règlements en dissuadant les patients de suivre leurs traitements médicaux. Les hôpitaux leur ont donc interdit de rendre visite aux patients.
Des avocats travaillant pour le couvent et l’éparchie furent amenés à résoudre le conflit. Ce faisant, il s’est avéré que la Fraternité Sainte-Élisabeth ne s’engageait guère dans le ministère social. Dans les hôpitaux, les sœurs se concentraient sur le travail « éducatif » et la vente de biens religieux.
Commerce à l’étranger : l’histoire d’Émilia, ancienne employée du département des relations extérieures du couvent
(Ce texte a été initialement publié sur la chaîne SEM-News)
« J’envisageais ce travail au département des relations extérieures comme une mission de représentation pour faire connaître l’orthodoxie lors de voyages et d’expositions. Très vite cependant, il m’est devenu évident que le travail du département consistait à faire du commerce international et à collecter des fonds.
« Dès les premiers jours, nous étions mis devant la réalité. Nos frais de déplacement n’étaient pas pris en charge ; nous devions économiser sur tout, travaillions sept jours sur sept et vivions selon un horaire strict. Un salaire minimum, pas de jours de congés, pas de temps personnel, pas d’argent de poche.
« On nous reprochait chaque dépense supplémentaire et on nous inculquait constamment un sentiment de culpabilité. Certains déplacements étaient particulièrement difficiles : nous devions par exemple travailler par temps glacial dans des stands d’exposition non chauffés.
« Cela dépendait aussi du projet.
« Au sein de ce département, il y avait une hiérarchie établie entre les religieuses ‘difficiles’ et les ‘bonnes’ – celles qui avaient la charge des ‘novices’. Après chaque voyage, il y avait des confrontations. Le plus souvent les ‘novices’ étaient vilipendées.
« Comparé à d’autre lieux de travail que j’ai fréquentés, je n’ai jamais connu une aussi mauvaise ambiance de travail, minée par autant de ragots et d’humiliations ; si bien que le dur labeur physique et la forte pression psychique ont eu raison de ma santé.
« En tant que néophyte, je vivais ces humiliations dans l’obéissance, même s’il m’était difficile de comprendre en quoi j’agissais mal.
« Toutes les affiches, les publications et le site internet du couvent Sainte-Élisabeth appellent à faire un don soi-disant pour les nécessiteux. Je pensais que les profits des voyages organisés par le couvent devaient aider les plus défavorisés. Mais au fil du temps, il m’est devenu clair que ce n’était pas du tout le cas. Chaque département, même l’atelier où les alcooliques, les toxicomanes et les anciens prisonniers vivaient ce qu’on appelle la « réinsertion par le travail », non seulement devait subvenir à ses propres besoins, mais devait également dégager des profits. Les sœurs blanches (sœurs de la miséricorde) qui aidaient dans les hôpitaux et dans un orphelinat neuropsychiatrique devaient, quant à elles, se procurer à leurs frais tout ce dont elles avaient besoin.
« Le plus désagréable était de devoir mentir. Par exemple, une religieuse raconte aux clients que les poupées Matriochka sont fabriquées dans un atelier de couvent, alors qu’en fait elles sont achetées à Moscou et simplement revendues en Biélorussie. À mes objections selon lesquelles il s’agissait d’un mensonge, il m’était répondu : «C’est parce que vous n’y croyez pas, tandis que l’archiprêtre Andrei [Lemyashonak] dit : ‘si vous croyez en ce que vous dites, le mensonge devient la vérité’» ! »
« Il convient de mentionner particulièrement le culte de la personnalité dont le Père Andrei est l’objet. Au couvent, tout se fait comme l’ordonne Lemyashonak. Il est inculqué à chacune des sœurs que «le prêtre prie et Dieu lui révèle». Il n’y a de salut qu’au couvent tandis qu’au dehors, le monde se complaît dans le mal. Si vous partez, vous n’êtes plus personne, seulement une pécheresse. Qui a besoin de vous hors du monastère ? En fait, les gens sont traités comme un citron que l’on presse pour ensuite s’en séparer.
« La goutte qui a fait déborder le vase et précipité ma décision de partir a été une arrestation pour contrebande. J’étais tellement gênée ! À la douane, ils ont dit qu’on trichait tout le temps. J’ai alors juré que, plus jamais, je n’irais nulle part, que je ne cacherais plus de produits cosmétiques non certifiés sous le siège. La plupart des marchandises du couvent traversaient en effet clandestinement la frontière.
« On pourrait citer bien d’autres exemples… Bien souvent, la quantité de marchandise déclarée ne correspondait pas à la réalité, l’objectif étant toujours de gagner le plus d’argent possible. Une partie du produit des ventes servait à ramener quantité d’argent pour le couvent. Les employés le transféraient de l’autre côté de la frontière dans des thermos et des bottes. Si le voyage s’avérait peu rentable, nous devions donner des explications lors des assemblées générales.
« Ce qu’il y avait de réconfortant, c’étaient les gens venus selon la volonté de leur cœur. Ils étaient sincères. La communication avec des personnes partageant les mêmes idées m’a sauvée. Beaucoup de gens créatifs ont contribué à développer les meilleures facettes du couvent. Malheureusement, beaucoup ont été blessés car leurs mérites sont systématiquement attribués exclusivement à Lemyashonak.
« En ce qui me regarde, l’expérience au couvent s’est avérée très traumatisante, si bien que mon histoire peut véhiculer beaucoup de mes émotions. Je fais encore des cauchemars, j’aurais tellement aimé ne pas avoir à vivre cette expérience. »
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